Texte paru dans "Connaître les publics, savoir pour agir"
Sous la dir. de Marie-Hélène Koenig. Villeurbanne : Institut de formation des bibliothécaires, 1998. 151 p. ; 21 cm. (Collection La Boîte à outils ; 8).
ISBN 2-910966-08-9. ISSN 1259-4857. 150 F

Olivier Las Vergnas, écrit fin 1997

 


La cité des métiers au service de ses publics

 

 

Introduction :
Trois façons de prendre en compte les usagers

 

 

 

La cité des métiers est une des composantes de la Cité des Sciences et de l'Industrie (CSI) de La Villette. Espace d'information et de services sur les différents aspects de la vie professionnelle, elle accueille, depuis son ouverture, plus de trois cents mille usagers par an (voir encadré 1).

 

 

Encadré 1 : Qu'est ce que la cité des métiers

La cité des métiers est un espace d'information et de services de 600 m²·, situé dans la cité des Sciences et de l'Industrie de La Villette. En connexion avec la médiathèque, elle est destinée à toute personne qui cherche à choisir son orientation, trouver une formation, trouver un emploi, changer sa vie professionnelle, créer son activité. Sa finalité première est de donner l'envie et les moyens à chacun de gérer et de prévoir au mieux son évolution professionnelle. Elle accueille tous les publics, quel que soit leur âge, leur statut, leur niveau de qualification. Depuis son ouverture en mars 1993, cette plate-forme a reçu une moyenne quotidienne de plus de 1200 usagers, soit, au total, plus d'un million cinq cents mille. Du mardi au samedi (soit 38 heures hebdomadaires), chacun peut y bénéficier d'entretiens, sans rendez-vous, avec des conseillers ou accéder librement aux 40 écrans (bases de données d'offres d'emploi et de formations, juke box de clips vidéo, progiciels d'orientation) et 4000 ouvrages.

Une vingtaine de conférences, rencontres, forums et ateliers sont également proposés mensuellement (comme des journées de recrutement, des séminaires sur l'évolution des professions et des rencontres jeunes-professionnels). Une "université ouverte de la société de l'information et des réseaux" (faisant le lien entre préoccupations individuelles et travaux d'experts sur les effets des nouvelles technologies sur les professions, l'emploi et la formation), un club et un cercle de recherche d'emploi complètent ce dispositif.

Une de ses particularités est d'être co-animée par des partenaires qui ont mis là ensemble leurs ressources pour répondre à un besoin social commun : il s'agit d'une mutualisation de moyens au service d'une meilleure insertion et évolution professionnelle des individus. Cette plate-forme remplit trois fonctions nécessaires et complémentaires aux réseaux des services de l'emploi, de la formation et de l'orientation. En amont, elle est à la fois aiguillage et vitrine ; en aval, elle est "service consommateur". Elle n'assure pas de suivi individuel, l'usager restant intégralement propriétaire de ses démarches. La cité des métiers complète donc les lieux habituels des réseaux, comme les Centres d'Information et d'Orientation (CIO), les agences locales pour l'emploi, les missions locales, les centres de bilan et autres points "entreprendre en France" sans pour autant faire double emploi. En offrant des prestations spécifiques en amont et en aval, elle se différencie radicalement du traditionnel concept de "guichet unique", qui, lui, réunit en un même lieu les services habituels des différents réseaux, dans une simple logique de regroupement géographique de prestations ordinaires. La dizaine d'institutions et la cinquantaine de personnes qui co-animent la cité des métiers (soit environ vingt cinq équivalents plein temps de conseillers face public) développent donc de nouvelles façons de travailler et de nouvelles compétences, qui transforment les conditions d'exercice des métiers traditionnels des divers conseillers à la vie professionnelle
[1] .

 

 

 

 

 

 

 

 

Encadré 2 :

liste des partenaires qui co-animent quotidiennement la cité des métiers :
Association Nationale pour la Formation professionnelle des Adultes (AFPA), Agence Nationale pour l'emploi (ANPE), Boutique de Gestion de Paris, Centre d'études supérieures industrielles (CESI), Centre InterInstitutionnel de Bilan de Compétences (CIBC), Comité d'Information et de Mobilisation pour l'Emploi (CIME), Centre d'Information et d'Orientation (CIO) Mediacom, Centre National d'Enseignement à Distance (CNED), Délégation Académique à la Formation Continue (DAFCO) de Paris
liste des autres partenaires permanents :
Agence pour la création d'entreprise (APCE), Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris (CCIP), Centre d'Information et de Documentation Jeunesse (CIDJ), Conseil Régional d'Ile de France, Direction Départementale du Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle FP, Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, Fonds Social Européen (FSE), Office National d'information sur l'enseignement et les professions, (ONISEP).

 

 

Pour gérer efficacement un tel dispositif, l'adéquation des services offerts à ce que l'on peut savoir des besoins des publics est une des priorités. De ce point de vue, l'histoire de la cité des métiers peut se découper en trois époques, correspondant à trois façon de se confronter aux besoins présumés des publics et de les prendre en compte. Cette préoccupation a été centrale avant l'ouverture, dans une première logique, lors des différentes étapes de la conception du système. Elle l'a été également dans une deuxième logique, celle de la validation, les premières années qui ont suivi l'ouverture. Aujourd'hui, alors que la cité des métiers est en exploitation depuis plus de cinq ans, que nous fonctionnons dans une logique d'adaptation permanente.

 


1. CONCEPTION :

La cité des métiers a été conçue et architecturée en fonction d'hypothèses sur les préoccupations des usagers

 

 

La conception de la cité des métiers a été marquée à double titre par la prise en compte des préoccupations de ses futurs usagers. D'une part, la décision de mettre en place une telle activité a résulté d'une volonté de la CSI de s'ouvrir aux questions concrètes que les évolutions scientifiques et techniques soulèvent dans la vie professionnelle de chacun. D'autre part, l'organisation interne a été construite à partir d'hypothèses sur les cheminements et les interrogations des publics cibles.

 

 

1.1. elle a été créée par la CSI pour mieux prendre en compte les préoccupations professionnelles des citoyens

 

Ouverte depuis 1986, la Cité des Sciences et de l'Industrie de La Villette (CSI) avait d'abord déployé ses moyens pour répondre principalement à deux missions. Etre, d'une part, un lieu de loisir touristique et culturel et, d'autre part, un outil complémentaire de l'éducation initiale. La CSI s'était ainsi conformée aux missions traditionnelles d'un musée scientifique, technique et industriel. Mais l'établissement s'est aussi progressivement lancé sur une voie complémentaire, celle d'être utile en terme d'insertion et d'orientation professionnelles [2] . L'ouverture de la cité des métiers il y a cinq ans, a été la marque la plus tangible de cette volonté d'utilité sociale directe. La motivation de la CSI était double :

 

- Les enjeux socio-économiques et les liens entre évolutions technologiques et professionnelles sont tels que nul ne peut vouloir développer la culture scientifique, technique et industrielle sans parler des outils et process de travail, des savoir-faire, donc des hommes et des métiers. La nécessité d'un réflexe d'anticipation professionnelle pour chaque citoyen constitue sans aucun doute une des premières finalités d'un développement culturel scientifique, technique et industriel.

 

- La préoccupation de son avenir professionnel ou de celui de ses enfants devient de plus en plus présente et s'exprime par des besoins très concrets d'information et de services. Développer ce type de fonction conduira à la CSI des publics complémentaires de ceux qui viennent pour l'offre de loisir ou de culture et qui pourront, ainsi, ouvrir leurs centres d'intérêts.

 

Dans ce double esprit, la création de la cité des métiers a été précédée de plusieurs étapes : dans un premier temps, dès 1987 un "Passage des métiers", zone de 20 m²· dédiée à l'information et aux services sur l'emploi et l'orientation a été créé, fondé sur un partenariat avec l'ANPE et le CIO Interjeunes. Il était implanté au sein d'une "Maison de l'Industrie" de 600 m2, qui présentait l'effet des évolutions techniques sur l'industrie.

 

Un espace autonome a rapidement pris le relais de cette zone. La superficie consacrée à cette activité a été accrue pour atteindre 300 m2 fin 1992. Cette évolution visait à répondre à la demande d'information et de services qui était de plus en plus forte et plus variée. A cette date, face à l'évidence qu'il ne suffisait pas d'en augmenter la surface, mais qu'il fallait aussi proposer une offre à la fois plus large et plus structurée, la CSI a pris la décision d'ouvrir au public l'actuelle "cité des métiers" sur 600 m2 en continuité avec la médiathèque. Le concept initial d'un espace d'information et de service en partenariat est alors largement développé, tant en terme de thèmes, que de conseillers et de ressources. Quatre pôles correspondant à quatre préoccupations identifiées "choisir son orientation, trouver un emploi, trouver une formation et s'informer pour un bilan" sont alors ouverts aux publics.

 


1.2. son architecture intellectuelle et physique a été pensée en fonction des préoccupations et des cheminements intellectuels des futurs usagers

 

 

Partir des préoccupations

 

A la cité des métiers, l'espace et la signalétique sont organisés, autant que faire se peut, en suivant la hiérarchie des préoccupations des individus. Toute proposition (conseil, outil, événement) est conçue et présentée en liaison avec un objectif qu'elle permet d'atteindre. Ainsi, les conseillers des diverses institutions oeuvrent-ils sous des enseignes indiquant une préoccupation des publics, comme " trouver un emploi " par exemple et non des logos d'institutions ou des intitulés administratifs qui eux annonceraient des structures représentées par ces professionnels.

 

 

Faire le lien entre les demandes et les ressources

 

Cette "conception centrée sur les usagers" a résulté surtout d'un état d'esprit : au lieu de juxtaposer des ressources ou des outils, comme on le fait traditionnellement (dans les forums emploi tels qu'ils se multiplient aujourd'hui à l'initiative des collectivités territoriales, par exemple, on se contente trop souvent de regrouper des stands institutionnels), à la cité des métiers, nous avons essayé de construire des propositions cohérentes en fonction de ce que nous pouvions supposer des logiques des usagers.

 

Il ne suffisait d'ailleurs pas de recueillir et de retranscrire les "demandes explicites" des publics, telles que l'on aurait pu les déterminer par une enquête. Il s'agissait plutôt de proposer un chemin entre ces demandes et les ressources disponibles. Ainsi, il n'était pas possible de répondre directement à la demande récurrente de trouver "l'annuaire des entreprises où candidater pour être pris en contrat de qualification d'assistant(e) de direction", mais il était possible de proposer les pages jaunes, des annuaires type Kompass (ou plus spécialisés), des accès par listings et par Minitel au 3614 ANPE (qui propose entre autre l'ensemble des offres en alternance déposées dans le réseau ANPE) et d'organiser journées et forums de recrutement.

 

 

Proposer des objectifs d'action

 

Dans ce travail, nous avons été amenés à faire des hypothèses sur ce que pouvaient être les objectifs d'action des usagers. Nous avons par exemple identifié que derrière la préoccupation : "choisir son orientation", il était pertinent d'aider les usagers dans les quatre directions suivantes :

- préciser ses intérêts, définir ses choix,

- découvrir le monde professionnel et les métiers,

- élaborer un projet d'études et de formation,

- connaître le fonctionnement du système éducatif.

 

Pour chacun de ces objectifs d'action, nous avons précisé les ressources existantes (conseillers, documents papiers, écrans de juke-box vidéos, de progiciels ou de bases de données, événements, ateliers) ou facilement développables qui pourraient permettre de répondre à ces objectifs d'action.

 

 

Organiser l'espace pour laisser du libre arbitre

 

L'organisation spatiale a été déterminée après l'analyse de trois propositions d'aménagement réalisées par le même architecte, à partir d'un cahier des charges. Nous en avons finalement choisie une quatrième, hybride, en cumulant les points positifs de chacun des projets [3] . Les quatre banques d'information et de conseil, complétées d'un comptoir "information générale" sont regroupées bien en évidence, à proximité de l'entrée de l'espace. Le passage est tout de même laissé très largement libre pour tous ceux qui ne souhaitent que consulter en libre service la documentation. Les ressources multimédia sont présentées sur des grandes tables au milieu de la documentation papier, respectant à peu près la même organisation structurée autour des quatre préoccupations. L'espace a été le moins cloisonné possible, de façon à le rendre "transparent". A droite de l'entrée, une petite salle vitrée contient les 12 minitels spécialisés pour la consultation des offres d'emploi. En moyenne quotidienne, 250 personnes sont reçues en entretien sans rendez-vous sur ces banques, 700 consultent uniquement la documentation en libre service et 250 consultent les minitels emploi.

 

 

Proposer une signalétique hiérarchisée

 

La signalétique a été mise en place en respectant l'organisation suivante :

un premier niveau d'enseignes, placées au dessus des banques de conseil, reprend les quatre grandes préoccupations. Ces préoccupations ainsi que les objectifs d'actions qui leur correspondent sont présentés dans le dépliant mode d'emploi (voir figure 1). Ces éléments sont également les seules informations affichées dans le long couloir d'accès qui fait office de "sommaire" de l'espace : l'usager peut y trouver la confirmation du ou des objectifs qu'il s'est fixé pour sa recherche dans la cité des métiers.

 

Certaines ressources (les bornes multimédias, les classeurs et mêmes les événements ou ateliers) sont signalées aux publics par un panonceau précisant, en plus de leur titre, leur support et leur durée moyenne d'utilisation, un but explicite. Ainsi, par exemple, au titre "Clips ONISEP" est ajoutée la mention vidéos, 2 minutes chacune et le but explicite : "pour découvrir 37 métiers, ".

 

Figure 1 :

dépliant mode d'emploi de la cité des métiers

 

Figure 2 :

dépliant mensuel "ateliers - événements

 


2. VALIDATION APRES OUVERTURE

Une fois la cité des métiers en fonctionnement, nous avons analysé les modes d'usage de ses publics pour comprendre les forces et les faiblesses du dispositif afin d'améliorer son efficacité.

 

 

La conception de la cité des métiers résultait d'hypothèses sur les publics et les modes d'usage. La détermination des préoccupations de base, des propositions de cheminements et des formulations des objectifs d'actions et des buts s'est faite à partir de l'expérience du passage des métiers (principalement à partir de l'observations des modes d'usages et de l'écoute des usagers) ; celle des ressources adéquates a été conduite avec les partenaires spécialisés en gardant à l'esprit la finalité générale de rendre les usagers plus acteurs de leur vie professionnelle.

 

Une fois le nouvel espace ouvert et les services prévus opérationnels, il restait à en observer le fonctionnement réel pour déterminer s'il se révélait conforme aux hypothèses et identifier les éventuelles transformations ou améliorations à y apporter.

 

 

2.1. les usagers ont été interrogés et observés afin d'appréhender et d'améliorer le fonctionnement réel

 

 

En plus de traditionnelles études quantitatives de public (voir encadré 2 : public), ce travail a été conduit de deux façons. D'une part au quotidien, les agents présents [4] ont observé de manière informelle les réactions et les questionnements ; d'autre part, nous avons fait réaliser une étude ethnologique structurée.

 

 

 

 

encadré 2 : les publics de la cité des métiers

la cité des métiers a  été dimensionnée pour un millier d'usagers par jour et en reçoit en moyenne 1300, avec certains jours des pointes au delà de 2000. Des jours et des périodes rouges sont par ailleurs à noter : les mardis et jeudis ainsi que les périodes de vacances scolaires - notamment la Toussaint et Noël - voient un afflux d'utilisateurs. Septembre et octobre sont des mois extrèmement fréquentés où tous les pôles sont saturés.

Parmi les utilisateurs qui ont bénéficié en 1997 d'entretiens avec des conseillers :
64% sont des demandeurs d'emplois, 13% des salariés, 14% des étudiants, complétés d'artisants, de chefs d'entreprises, de mères de famille,
57% ont plus de 25 ans, 36% entre 16 et 25 ans et seulement 7% moins de 16 ans.
44% ont un niveau d'étude allant du bac à bac+2, 33% étant de niveau V (CAP et BEP)
71% résident en Ile de France dont 24% habitent Paris.

 

 

Celle-ci [5] , s'est appuyée sur 70 entretiens semi-directifs. Au cours de ces entretiens approfondis (une heure et demi) avec des usagers volontaires, pris à la sortie de l'espace, il s'agissait de leur faire préciser à la fois leurs motivations, leurs activités dans la cité, ainsi que leurs opinions. Cette étude a permis en particulier d'identifier trois types principaux d'usages ou "niveaux d'entrée".

 

 

Premier type d'usage :

venir utiliser un outil ou bénéficier d'un service précis.

 

Ces usagers se rendent pour la première fois à la cité des métiers dans le but précis d'utiliser le Minitel, le Kompass, la documentation, taper leur curriculum vitae, autrement dit pour exploiter une ressource précise - outil ou service - qu'ils savent pouvoir trouver sur place. Quelle que soit la finalité de leur démarche (recherche d'emploi, de stage, d'orientation, d'information...), ils viennent trouver un outil technique.

 

Deuxième type d'usage :

venir chercher la réponse à une question

 

Ces usagers "entrent" à la cité des métiers pour trouver une réponse à une question qu'ils savent exprimer : un emploi dans un secteur donné, une entreprise pour un contrat de qualification, des informations ou un conseil sur un sujet précis... sans relier leur démarche à un outil particulier. Ils arrivent avec une question formulée qui circonscrit le champ de leur recherche et la forme de la réponse. Ils viennent la plupart du temps une première fois pour explorer les ressources existantes, repérer l'outil, le service, le conseil susceptibles de leur être utile, puis ils reviennent pour s'en servir. Cependant, parfois, derrière la question se cache un problème qu'il est nécessaire de les aider à déceler.

 

 

Troisième type d'usage :

venir chercher des éléments pour éclairer une situation

 

Il s'agit là d'usagers qui ne savent pas vraiment ce qu'ils cherchent ou qui, voire même parfois, ne savent plus quelle question poser tant ils sont décalés par rapport aux règles du jeu ou tant ils ont tourné sans trouver d'issue. Ils n'ont pas de question précise, mais un problème qui peut se résumer de la façon suivante : voilà ma situation, qu'est-ce que vous en pensez, qu'est-ce que je peux faire? Il y a là un problème à traiter qui nécessite une analyse de situation, une relation interactive entre l'offre (humaine le plus souvent) et la personne. Comme les précédents, ces usagers font souvent une première visite de repérage.

 

 

2.2. A partir de ces constats, on a déterminé les principales limites de la cité des métiers et cherché des solutions pour les dépasser.

 

Cette étude ethnologique et les observations informelles des conseillers nous ont permis de constater que pour ces trois types d'usage, l'organisation et les ressources proposées étaient jugées comme globalement pertinentes. Mais nous avons aussi été amenés à identifier les quatre principales limites du système que nous avions créé et qui perturbaient ceux qui venaient consulter :

 

- la cité des métiers était souvent à saturation,

- la cité des métiers ne pouvait s'utiliser qu'individuellement,

la cité des métiers ne proposait pas vraiment de moyen de susciter de nouvelles démarches,

- la cité des métiers n'était pas un lieu de rencontres directes avec les professions.

 

 

Nous avons bien sûr cherché comment dépasser ces limites. Cela s'est révélé plus ou moins possible. Pour certains aspects de ces limites, nous avons pu mettre en oeuvre des solutions de manière très directe et pragmatique, au quotidien (par exemple, pour limiter la saturation de certaines ressources). D'autres aspects ont nécessité l'élaboration d'hypothèses, leur validation, puis la mise en place d'un cahier des charges pour la recherche de la meilleure solution, une phase d'instruction, de décision puis de réalisation. Enfin, certains trouvent leur origine dans le concept même de la cité des métiers (l'accès des groupes par exemple qui est en contradiction flagrante avec la logique d'autonomie individuelle).

 

 

 

Comment faire face au problème de saturation ?

 

La cité des métiers accueille en moyenne 1200 personnes par jour pour 600 m²·, venant en grande majorité du bassin parisien. Il y a fort à parier que, aussi grande soit-elle, la cité des métiers sera toujours saturée, car des usagers viendront de communes de plus en plus éloignées.

 

 

Essaimer ailleurs plutôt que de concentrer

 

La solution retenue n'est donc pas d'augmenter le nombre de mètres carrés, mais d'essaimer, c'est à dire d'agir pour la création d'équipements de type cité des métiers ailleurs, en région. En effet, derrière cette question de la saturation, le véritable problème est plus de savoir pourquoi de tels équipements ne sont pas plus fréquents. Il devrait en effet exister de multiples dispositifs de sensibilisation, d'information, voire d'élaboration de parcours professionnels en complément des réseaux et systèmes "curatifs" où l'on ne se rend que sur prescription. Les nouvelles médiathèques publiques qui ouvrent leurs portes dans les grandes métropoles pourraient comprendre des espaces de service à la vie professionnelle.

 

Dans cette logique, le concept "cité des métiers" a suscité l'intérêt de plusieurs partenaires territoriaux qui souhaitent s'en inspirer pour créer des plates-formes respectant les mêmes principes. Une quinzaine d'équipes projets se sont constituées, comme à Nîmes, dans les côtes d'Armor, ainsi d'ailleurs que dans plusieurs villes italiennes. Parallèlement, la CSI a formalisé le concept de cité des métiers en créant un label, correspondant au respect d'une charte et d'un cahier des charges : une cité des Métiers y est définie comme un lieu multi-publics, multi-partenaires, multi-usages (tous les modalités de consultations et d'information) et multi-thèmes (tous les aspects de la vie professionnelle, tous les secteurs). Elle se doit d'être centrée sur les usagers et en accès libre et gratuit. Le label "cité des métiers en projet" a été attribué en décembre 1997 au projet de Nîmes et du Gard, et en janvier 1998, à celui des côtes d'Armor. L'ouverture au public de ces deux plates-formes est prévue avant le début de l'année 1999 [6] .

 

Le travail de modélisation, nécessaire à la mise en place de ce label, a bien sûr été très profitable en obligeant à bien formuler les liens entres ressources multimédias, conseillers et publics. Face aux équipes projets en région, il n'était en effet pas possible de dire de "faire comme nous". Il nous fallait au contraire leur donner les clés pour reconstruire à chaque fois en fonction des ressources et des contextes locaux un système centré sur leurs futurs usagers. Ce travail nous a en particulier amené à affirmer dans notre charte que "une cité des métiers est centrée sur la demande, la question, le problème de l'usager et non sur les institutions et leurs services. L'espace fonctionne sans rendez-vous imposé : ce qui compte, c'est le temps de l'usager, l'urgence de sa question ou le respect de l'étape qu'il est venu franchir. Dès l'entrée, il doit percevoir que cet espace est fait pour lui" ou encore que "on doit pouvoir venir et revenir à différentes étapes de maturation de ses choix professionnels... Conseiller n'est pas prescrire : l'entretien doit aider l'usager à construire des stratégies d'action et n'a aucun cas pour objectif de décider pour lui". Ces définitions de notre travail se sont imposées au quotidien, mais n'auraient sans doute pas été aussi clairement explicitées sans la nécessité de transférer notre savoir-faire pour essaimer. Par contre-coup, cette explicitation profite énormément aux conseillers à La Villette.

 

 

Gérer au mieux les éléments et les périodes les plus demandés

 

En ce qui concerne les outils ou événements les plus demandés (minitel emploi et journées d'information et de recrutement), des systèmes de gestion des surcharges ont été mis en place. Ainsi, pour la consultation des offres d'emplois, sont distribués des tickets de réservation gratuite d'un minitel pour 20 minutes de consultation. Ces tickets précisent l'heure et le numéro du minitel qui est attribué. Pour les journées de recrutement ou les rencontres-débats, il existe un système analogue de ticket gratuit de réservation d'accès, avec autant que faire se peut dédoublement de séances en cas de surcharge.

 

Une autre idée pour gérer au mieux les problèmes de saturation paraît s'imposer d'elle-même : mettre en place un système d'information des publics et tenter de prévoir des périodes rouges, oranges et vertes, en fonction d'hypothèses. Un tel système est en cours de mise au point depuis près de deux ans. Il faut d'une part se doter d'un système précis de mesure du nombre de personnes présentes, d'autre part déterminer les colorations des différentes périodes et enfin en informer de manière pertinente leurs usagers. Il faut un système de comptage qui suive les entrées-sorties à une unité près tout au long de la journée. Etalonner des différents seuils et déterminer les messages à afficher posent également d'importantes difficultés : cela devra se faire par tâtonnements successifs. Notre système devrait pouvoir être opérationnel dans quelques mois. L'état réel sera alors indiqué à l'entrée : "espace fluide", "espace dense, risque d'attente", ou encore "espace saturé, risque d'attente importante". Un calendrier prévisionnel des différentes périodes sera affiché pour compléter l'information des publics.

 

 

Comment faire face à la demande des groupes, sachant que la cité des métiers ne peut s'utiliser qu'individuellement ?

 

Les groupes - qu'ils soient composés de jeunes ou de demandeurs d'emplois ou de tout autre type de public- ne peuvent utiliser "collectivement" l'espace, conçu pour un usage individuel et autonome. Ils se présentent cependant, nombreux avec différentes demandes. Systématiquement, un "responsable de jour" de quart à la cité des métiers s'entretient avec les accompagnateurs pour mieux comprendre leur besoin. En général, il s'inscrit dans l'un des trois types suivants.

 

Une première catégorie correspond à des personnes conduites par un accompagnateur ou un formateur qui souhaitent "visiter", pensant sans doute se trouver dans un lieu d'exposition sur les métiers. Il faut alors leur faire comprendre que la cité des métiers ne se visite pas, contrairement à Explora (les expositions permanentes de la CSI). Pour cela, nous développons des différents types de parcours dans l'ensemble des ressources de la CSI et particulièrement les expositions. En parallèle, nous développons aussi les manifestations collectives sur le recrutement, les initiatives de création d'emploi, l'évolution des professions et du travail.

 

Une deuxième catégorie correspond à un rassemblement de personnes qui sont conduites là pour "travailler ensemble autour de documents" ou poser tous le même type de question aux conseillers. Il faut alors faire comprendre aux accompagnateurs que ni l'espace disponible, ni les ressources ne permettent un tel mode d'usage. Il serait d'ailleurs plus logique que pour ce type de besoins, qui sont souvent récurrents les organismes en question se dotent de leur propres ressources, soit sur leur site, soit en partenariat avec des spécialistes locaux. Ceci est d'autant plus vrai qu'il n'est pas rare de voir de tels groupes traverser l'Ile de France pour venir consulter des dossier de l'ONISEP ou des fiches du CIDJ disponibles dans de nombreux équipements publics.

 

Une troisième catégorie correspond à un regroupement d'individus, chacun porteur d'une préoccupation personnelle. Il leur est alors possible d'utiliser individuellement les ressources, sous réserve de ne pas constituer un groupe compact qui perturberait l'espace.

 

Dans tous les cas, l'entrée de l'espace n'est pas autorisé aux groupes constitués. S'il veulent néanmoins pénétrer dans l'espace, il leur est demandé de se scinder en sous-groupes de cinq personnes maximum et de ne pas reconstituer d'activités collectives une fois à l'intérieur. Cependant, pour certains publics, comme les demandeurs d'emploi en stage SIFE [7] , nous proposons des ateliers et des formations des formateurs en dehors des heures d'ouverture classique. L'idéal serait d'ailleurs de pouvoir former, en amont, l'ensemble des formateurs pour qu'ils sachent se doter de leur propre centre de ressources et mieux utiliser l'offre existante. Cela favoriserait aussi l'utilisation pertinente de tous les lieux, des bibliothèques municipales à la cité des métiers.

 

 

Comment susciter de nouvelles démarches des usagers ?

 

A l'ouverture de la cité des métiers nous avions choisi d'organiser l'espace et les services à partir de quatre préoccupations qui nous avions jugées fondamentales pour nos publics. En observant le fonctionnement, nous nous sommes rendu compte que cette organisation de notre offre ne pouvait susciter de nouvelles idées ou démarches des usagers. Nous avons alors décidé de procéder à deux modifications de ce découpage.

 

 

Ne plus se limiter à aider à "s'informer pour un bilan", mais aider à "changer sa vie professionnelle"

 

Ainsi, nous avions défini comme quatrième préoccupation des usagers le fait de "s'informer pour un bilan". Cet intitulé, moins directement explicite que les trois autres avait été, en fait, choisi dans l'idée de faire connaître au public le nouveau dispositif de "bilan de compétence", tel qu'il a été mis en place par la loi de 1992.

 

Assez vite, nous avons pu constater, lors des entretiens sur les banques, que la véritable préoccupation d'un usager est celle de "changer sa vie professionnelle". Le bilan de compétence (comme d'autres dispositifs tels que le congé individuel de formation) n'est en réalité qu'un moyen de changer. Nous avons alors observé les demandes précises des différents usagers pour identifier quelles étaient vraiment les informations et les conseils qui pourraient être proposées autour de ce type de préoccupation. Ceci nous a amené à redéfinir ce pôle intitulé maintenant "changer sa vie professionnelle" et qui propose aujourd'hui un service original, correspondant aux trois objectifs d'action suivant : faire le point sur sa situation professionnelle, s'informer sur le bilan de compétence, choisir le bilan approprié à sa situation. En parallèle, les conseillers ont développé leurs compétences et transformé leurs protocoles d'entretien pour s'adapter à ces nouvelles missions.

 

 

Proposer d'aider à "créer son activité"

 

Toujours à l'ouverture, nous avions considéré la demande de "créer son entreprise" un des objectifs d'action de la préoccupation "trouver un emploi". Nous avons depuis décidé de développer un cinquième secteur autonome intitulé "créer son activité" et d'améliorer ainsi l'information sur les dispositifs d'accompagnement des initiatives. Une telle fonction est en effet essentielle pour offrir un service plus ouvert dans le domaine de l'accès à l'emploi que l'utilisation actuelle des offres existantes. On peut y proposer aux usagers une gamme de services pour leur permettre de se lancer autrement dans la vie professionnelle (passer de l'idée au projet, l'expertiser, trouver des partenaires). Ce nouveau pôle a été testé deux jours par semaine pendant l'année 1996, animé par l'ANPE et la Boutique de Gestion de Paris. A l'issue de cette période expérimentale, les réactions des usagers nous ont convaincu de l'intérêt d'un tel service. Il a alors été pérennisé et est devenu un cinquième pôle au même titre que les quatre autres (ouvert à plein temps). En mai 1998, le Comité d'Information et de Mobilisation pour l'Emploi est venu renforcer le partenariat, apportant à la fois sa compétence sous la forme de conseillers mais aussi une base de données multimédia d'initiatives, intitulée BALISE. Tout ce travail s'est conduit avec un renforcement du lien avec la médiathèque, en particulier son secteur Travail et Industrie et sa médiathèque des entreprises.

 

 

 

Comment répondre à la demande de rencontrer toutes les professions tous les jours ?

 

La demande de rencontres directes avec les professionnels pour faciliter la découverte des métiers de manière sensible est très forte ; il est bien entendu identifié qu'il y manque un chaînon entre les fiches métiers, les audiovisuels métiers, et la véritable vie professionnelle. Cette demande rejoint celle déjà signalée d'un certain nombre de groupes (voir plus haut) qui veulent "visiter la cité des métiers".

 

La réponse à ce type de demande passe par la multiplication du nombre d'événements (journées d'information et de recrutement, forum) et par la mise en place de nouveaux modes d'usages d'Explora, l'exposition permanente de la cité des Sciences. Il s'agit là non seulement de proposer des parcours et des animations, mais aussi de développer la présentation des métiers et du travail au sein même des expositions. En réalité, il s'agit aussi d'atteindre un objectif d'une autre nature : aider le public à mieux identifier les liens entre développement scientifique et technologique, procédés de fabrication et exigence de qualification, ce qui ne peut qu'être une des priorités d'un "centre de culture scientifique, technique et industrielle" dans le contexte actuel.

 


3. ADAPTATION PERMANENTE

Aujourd'hui nous pilotons la cité des métiers grâce à plusieurs dispositifs (formels et informels) d'observations des usages et des attentes des publics

 

La cité des métiers est un système vivant, qui ne peut être qu'en évolution permanente, à la fois parce que le contexte de l'emploi et de l'orientation professionnelle est très changeant, que les publics se modifient au gré de la conjoncture et de l'image de la cité renvoyée par les médias et qu'enfin la présence des multiples partenaires qui la composent ne se justifie que pour y réaliser des missions complémentaires de celles de leurs sites habituels [8] .

 

C'est pourquoi, dès que notre attention est attirée sur une évolution (du contexte, de l'offre ou de la demande) ou dès que nous repérons un dysfonctionnement, nous cherchons la méthode la plus pertinente pour y faire face. Bien sûr, pour cette adaptation permanente, la cité des métiers présente l'avantage d'être en prise directe avec ses usagers, en particulier grâce aux conseillers face public. Cette "prise directe" sur les préoccupations nous renseigne dans une large mesure sur l'adéquation des ressources et de l'offre. Elle présente cependant trois limites : d'une part, nous n'avons pas d'information sur les personnes qui se contentent d'utiliser "silencieusement" en libre service la documentation, d'autre part le but des entretiens de conseil n'est pas de déterminer leur satisfaction ou insatisfaction vis à vis de la cité des métiers. De plus, ce que nous recueillons est l'avis des usagers par rapport à leur représentation de leur demande : ce n'est pas pour autant que la réponse toute prête existe ! Ainsi, nous observons une demande importante de mise à disposition de bornes Internet. Mais avant de nous transformer en cyber-café, nous devons impérativement déterminer quel type de consultation nous pouvons offrir (gratuite, payante ? limitée ? assistée ? organisée en fonction des préoccupations ?) et surtout identifier les sites fiables et les éventuels moteurs de recherche à proposer. Au delà du mythe Internet et du miroir aux alouettes, ce qui compte c'est la qualité de l'information obtenue.

 

C'est pourquoi il est indispensable que nous complétions le recueil informel des avis des usagers par d'autres dispositifs de suivi du fonctionnement.

 

Il peut par exemple être nécessaire d'objectiver une demande (par des questionnaires ou autres cahiers de doléances, "appels au peuple") ou d'identifier les ressources à mettre en face (par des recherches conduites avec nos partenaires par exemple (documents, bornes, ateliers, journées, forums ...). Il peut aussi être nécessaire d'expérimenter des hypothèses de mode d'usage ou d'emplacement (nous procédons alors à de simples expérimentations, type essai-erreur, jusqu'à trouver la meilleure solution). C'est au cas par cas que nous déterminons la méthode de travail la plus pertinente. Nous avons donné plus haut des exemples des évolutions positives de la cité des métiers depuis son ouverture, comme par exemple les transformations des pôles, ou la mise en place d'événements complémentaires. Mais souvent les solutions ne s'imposent pas aussi facilement, comme en témoignent les trois exemples suivants.

 

 

Première question :

faut-il occuper l'attente des chasseurs d'offres d'emploi ?

 

Un nombre important d'usagers viennent à la cité des métiers uniquement comme "chasseurs d'offres d'emploi" [9] . Comme nous l'avons expliqué plus haut notre salle de 12 minitels n'offrant qu'environ 250 plages de consultation par jour, nous avons mis en place un système de ticke. Chaque ticket précise à un usager arrivé lorsque qu'aucun minitel emploi n'est libre, l'heure et le numéro du minitel qui lui est attribué pour 20 minutes de consultation (11h40, n°7 par exemple).

 

La question qui nous préoccupe est la gestion du temps d'attente. A l'ouverture de la cité des métiers, nous pensions que les consultants, rassurés par la possession d'un ticket avec un horaire utiliserait le temps d'attente pour mener d'autres recherches dans la cité des métiers, par exemple en lisant les quotidiens ou magazines spécialisés pour y trouver des offres ou des renseignements utiles à leur recherche d'emploi, utilisant les répertoires ou encore en s'entretenant avec les conseillers.

 

Nous avons tout de suite constaté qu'il n'en était rien, et que la plupart des consultants restaient passivement à attendre devant la porte, constituant une sorte de "ghetto" de sous-utilisateurs, dans le meilleur des cas assis en parcourant superficiellement la presse généraliste. Rien que de logique, puisque nous avions tout d'abord placé les quotidiens (contenant des offres) à proximité de l'entrée de la salle minitel. Nous avons alors eu ce qui semblait une bonne idée : modifier leur place et les mettre à l'autre bout de la cité des métiers, afin que les personnes qui attendaient se déplacent et découvrent l'ensemble des ressources. L'effet a été l'inverse de ce que nous espérions. Les personnes attendaient encore au même endroit, mais ne lisant plus. En désespoir de cause, on finit par remettre les quotidiens à leur place initiale. Nous avons compris que la crainte de perdre sa place dans ce que l'on perçoit comme une file d'attente soit beaucoup plus forte que l'envie de lire [10] et surtout que les personnes qui viennent avec la demande exclusive de consulter les offres d'emploi de l'ANPE ne perçoivent pas ce qu'elles pourraient tirer du reste des ressources de l'espace.

 

 

Deuxième question :

faut-il stimuler la mobilité européenne ?

 

La cité des métiers devrait-elle proposer une offre spécifique sur les possibilités d'aller étudier ou travailler ailleurs en Europe ? Comment savoir quelle prestation mettre en place ? Nous avons recueilli par un système de cahier toutes les demandes de cette nature qui apparaissaient sur les pôles d'entretiens. Le résultat a été très décevant : une très faible proportion des demandes spontanées des usagers concernent l'Europe. Le test d'un atelier mensuel "préparez votre projet de mobilité" a été tout aussi infructueux, quelqu'en soit la forme. Nous avons été obligés de nous rendre à l'évidence. La cité des métiers n'est pas identifiée comme un lieu spécialisée, contrairement à d'autres, comme le centre "Sources d'Europe" à la grande arche de la Défense, l'ANPE Internationale ou encore les CIO spécialisés. Notre taux actuel de saturation faisant que nous ne souhaitons pas faire venir de nouveaux publics spécialisés, nous nous sommes contentés pour l'instant de maintenir la documentation utile sur ce sujet, sans plus.

 

 

Troisième question :

faudra-t-il encore modifier le découpage des cinq pôles principaux ?

 

Nous avons expliqué plus haut que nous avions été amenés à ajuster le découpage initial en grands pôles de préoccupations. D'un système de quatre pôles, dont le dernier s'intitulait "s'informer pour un bilan", nous sommes passés à un système de cinq pôles, avec comme quatrième "changer sa vie professionnelle" et comme cinquième "créer son activité".

 

Sommes-nous sûr aujourd'hui que ce nouveau découpage est le plus pertinent ? Ne faudrait-il pas renvoyer les simples consultants "compulsifs" d'offres d'emploi vers d'autres lieux ? Mais refuser ces usagers reviendrait alors à refuser l'opportunité de les faire réfléchir à plus long terme. Dans le même ordre d'idée, certains pourrait même se dire que le fait de "trouver une formation" ne devrait pas être présenté comme une préoccupation, mais plus comme un moyen au service des quatres autres pôles. On se forme pour ... trouver un emploi, changer sa vie, créer ... Ne faudrait-il pas présenter l'offre de formation comme une simple ressource au service des quatres autres pôles ? Un tel choix intellectuel serait bien sûr incompris par les cent usagers quotidiens qui consultent les conseillers de ce pôles pour trouver un stage ou les moyens de le financer et se reconnaissent parfaitement dans cet intitulé.

 

En fait, il n'y a pas de réponse simple à de telles interrogations. Pourquoi ? Parce qu'ici, le problème n'est ni de mieux savoir analyser la demande (par des questionnaires, des entretiens ou des observations), ni de mieux évaluer le résultat d'essais empiriques. Il n'est en fait pas possible de se mettre d'accord sur des critères neutres de "pertinence absolue" de l'organisation. Il s'agit ici d'un choix, et il n'est pas simple : A quoi sert vraiment la cité des métiers ? Comment l'évaluer ? En mesurant son efficacité sociale. Comment se mesure-t-elle [11] ? Est-ce en terme de résultats de satisfaction des publics ? Sans doute, mais laquelle ? A court terme ? A long terme ? N'est-ce pas aussi en terme d'identification de solutions et de placement des individus dans des mesures ? Peut-être, mais là aussi est-ce le court terme ou le long terme qui doit être pris en compte dans l'évaluation ?

 

Les meilleurs choix ne peuvent en réalité que résulter d'un compromis entre les demandes, telles que les publics se les formulent, et les offres que les conseillers jugent comme les plus efficaces. La cité des métiers ressemble en cela à bien des lieux de conseils et écoute, dans le domaine de la santé par exemple. Mais nous sommes aussi au milieu d'un autre paradoxe, au croisement de deux autres logiques, entre celle de l'urgence qui est de trouver une offre d'emploi et celle du long terme qui serait de prendre le temps de construire un projet professionnel et d'en trouver le financement. Cette double logique se retrouve dans la construction de la cité des métiers et explique la co-existence de pôles d'urgence comme trouver un emploi ou trouver une formation et des pôles de long terme comme changer, choisir ou créer. Et nous savons bien que le défi est là, dans notre capacité à assumer ces paradoxes. Etre d'une part centré sur les usagers, à l'écoute permanente de leur demande, de leur discours, de leurs préoccupations et les aider à faire le lien avec des solutions techniques, certaines fois même technocratiques. Etre capable d'être utile au rythme de leur urgence, mais aussi être capable de leur donner le temps de l'écoute et l'occasion de réfléchir et de construire au delà de la pression du quotidien.

 


Au service des publics... Mais quel service ?

 

Le titre de ce chapitre suppose que la cité des métiers puisse être au service de ses usagers. Nous pensons que ce serait un contre-sens total de croire qu'un tel système puisse exister uniquement en fonction de ses usagers. Au contraire, la cité des métiers comme toute bibliothèque ou centre de documentation est un outil de médiation entre des publics et des ressources. Son bon fonctionnement suppose une connaissance équivalente des deux extrémités de cette chaîne. Il s'agit donc d'y permettre l'interpénétration des deux organisations des idées et des préoccupations [12] . Coluche définissait le technocrate comme une personne dont la réponse rend la question posée incompréhensible. A contrario, nous pensons aussi que le métier et le talent des professionnels de l'information est de donner non seulement une réponse pertinente mais aussi l'intelligence du décodage de la question.

 

Nous pensons également qu'il n'y a pas de réponse pertinente si l'on n'est pas au clair sur les objectifs de la structure. Comment en effet décoder les questions des publics sans cela ? Pour aller plus loin, il faut non seulement savoir quelle est la mission de son établissement, mais aussi oser en remettre en cause et en valider régulièrement la pertinence. Tester par exemple si l'on est capable de l'expliquer aux usagers eux-mêmes, pour ne pas se retrouver un jour à gérer et maintenir des appareils et des fonctions dont plus personne ne comprend ni ne connaît l'intérêt social.



[1] Le monde (supplément initiatives) 17 juin 1998 : la cité de la Villette renouvelle les pratiques d'orientation

[2] Alliage, n° 29-30, 1996. O. Las Vergnas, D. Drevet, C. Prokhoroff La culture scientifique et technique face aux fractures sociales : la cité des métiers à La Villette

[3] : cela était possible puisqu'il ne s'agissait pas d'un concours d'architectes différents.

[4] : à toute heure d'ouverture de la cité des métiers, de six à dix conseillers et agents d'information se trouvent en effet face au public, en interaction individuelle par des entretiens.

[5] : le rôle de la cité des métiers évalué par les usagers, S. Tievant, association IRIS, document interne, cité des Sciences et de l'Industrie, 1995

[6] le monde (supplément initiatives), 3 juin 1998 : un service public "nouvelle génération", la cité des métiers essaime en France et à l'étranger

[7] : il s'agit des Stages d'information et de Formation à l'Emploi, mis en place par le Ministère de l'emploi et de la Solidarité pour aider à l'insertion professionnelle.

[8] : Certains partenaires, comme l'ANPE considèrent également la cité des métiers comme un laboratoire où peuvent être testés des outils ou des pratiques nouvelles. Ainsi avons contribué largement à la mise en place du nouveau 3614 ANPE ; ainsi sommes-nous aussi assez souvent utilisé comme lieu d'observation de mode d'usage de tel ou telle ressource (juke box de clips vidéo métiers, bases de données ...)

[9] : Leur nombre semble actuellement en diminution sans doute parce que l'accès à la base nationale ANPE et APEC se fait maintenant par le 3614 et qu'à l'instar de la cité des métiers de nombreux lieux ouvrent des possibilités de consultation au public : les agences locales pour l'emploi et les espaces jeunes en particulier. Il n'en reste pas moins que cet usage à la limite du compulsif est encore très fréquent à la cité des métiers.

[10] : il est vrai que dans de très rares cas, quand une personne quitte prématurément son tour, une autre personne peut avoir la chance de passer plus tôt que ce qui est indiqué sur son ticket.

[11] : nous disposons d'un volume impressionnant de données sur l'utilisation de la cité des métiers. Descriptions signalétiques de chaque personne reçue en entretien, suivi instantanée de la fréquentation, baraomètres réguliers des usagers ... Nous avons même installé des "mouchards" dans les bornes interactives pour pouvoir suivre les progressions. Mais quoi en faire ?

[12] : nous travaillons aujourd'hui sur un projet d'outil intitulé I.L.E. (informer, localiser, élargir). Il se propose de faire le lien entre les différentes requêtes des usagers et l'ensemble des ressources (de la cité des métiers, de l'ensemble de la CSI, voire d'autres lieux extérieurs). Il permet à la fois d'affiner sa préoccupation, puis de localiser ce qui va permettre de trouver des éléments de réponse. Cet outil s'appuie à la fois sur une analyse des représentations des demandes par les conseillers et de l'expertise des réponses. Une fois en place, on pourra bien sûr observer informatiquement les cheminements et améliorer progressivement le dispositif.