[ retour à la une du réservoir d'Olivier Las Vergnas ]

 

Cités des métiers : un chaînon manquant entre empowerment et formation tout au long de la vie

 

 

Dr Olivier LAS VERGNAS,

Directeur de la Cité des métiers de La Villette,

Secrétaire général du Réseau international des Cités des métiers

http://www.reseaucitesdesmetiers.org

et

Dr Bernadette THOMAS,

Chargée du Label Cité des métiers,

Cité des sciences et de l’industrie, Paris

 

Juillet 2006 (à traduire en portugais),

Certains paragraphes de ce texte ont été publiés en Français (voir notes 2, 3 et 4)

 

 

1. Comment est née la Cité des métiers ?

 

Voici 13 ans qu'est né à Paris le concept d'Estacao das Profissoes ("Cité des métiers" en Français : CDM en abrégé), avec la création au sein du musée national Français des sciences et de l'industrie de La Villette (la Cité des sciences et de l’industrie, CSI) de la première CDM, espace d'information et de conseil sur la vie professionnelle et la formation. Sa genèse est, somme toute, plutôt logique. A l'origine, la Cité des sciences, un établissement public français qui a pour vocation de " rendre accessible à tous les avancées des sciences, des techniques et du savoir faire industriel ". D'une telle définition de mission, découle un devoir d'information sur l'évolution des professions, des métiers, de la vie professionnelle. Lier culture, enseignement, formation, formation tout au long de la vie et orientation professionnelle, voilà qui n'a rien d'étonnant.

 

Ce lien est d'ailleurs double : d'une part, les acteurs de la " culture scientifique et technique " affichant la volonté de réduire les inégalités sociales susceptibles de résulter de la non maîtrise des avancées scientifiques et techniques, les champs de la vie professionnelle, de l'évolution des métiers et de l'orientation les concernent au premier chef ; regardée sous cet angle, culture technique est de fait indissociable de culture professionnelle. D'autre part, lier action culturelle scientifique et technique et service pragmatique d'aide à l'orientation et à l'insertion à tout âge semble un moyen d’élargir grandement les publics susceptibles de se considérer comme concernés. Un musée des sciences "classique " ne proposant que des formes traditionnelles d'expositions court en effet un fort risque de n'être fréquenté que par des scolaires " captifs " et des adultes déjà passionnés par les expositions culturelles high tech. A contrario, en se proposant de se mettre concrètement au service de chacun en facilitant insertion et évolution professionnelle, le lieu culturel s'ouvre à d'autres publics et ce risque est moindre, de ne pas réduire les inégalités sociales, mais plutôt de les amplifier.

 

Ainsi, au départ, un établissement culturel se sent le devoir de s'intéresser à l'insertion, l'orientation, l'évolution professionnelle ; évidemment, il doit le faire avec ceux qui ont compétence dans ce domaine-là, et donc la première aventure de la CDM a été de chercher à se marier avec les organismes concernés pour travailler au quotidien avec eux à accueillir le public.

 

Mais il ne suffit pas de réunir des partenaires, il faut surtout construire des services aux publics. Là encore, notre idée était très simple : essayer d'identifier les préoccupations des publics, en ayant en tête de créer un lieu complètement ouvert qui justement partira de ces interrogations et collera au mieux aux formulations des futurs utilisateurs. On voulait se placer dans une logique où individu allait volontairement venir chercher de l'information, venir parler de ses préoccupations, donc dans un modèle où chacun serait considéré comme autonome ou potentiellement autonome, comme capable de formuler ou d'exprimer ses préoccupations et de chercher des réponses, des outils de l'écoute quelque chose. Notre idée était donc de proposer des intitulés de services faisant " miroir " des questions et inquiétudes de chacun.

 

On voulait se tenir à sa disposition, dans son propre temps à lui, et dans un processus dont lui-même maîtriserait les différentes étapes. Une CDM serait donc un cadre différent de celui de l'orientation en milieu scolaire ou d'une classique agence locale pour l'emploi. Certes, pour ce qui est des publics considérés comme très peu autonomes, pour qui les institutions, les barrières culturelles ou linguistiques empêchent de savoir ce qu'ils cherchent, il faudrait certainement créer des dispositifs spécifiques pour leur ouvrir des portes supplémentaires, ce que nous l’avons effectivement installé, avec en particulier des sessions accompagnées, intitulées « Clef d’accès ». Quoi qu’il en soit, également pour eux, le cœur de concept d'une Cité des Métiers devait être de les aider à être réellement aux commandes de leurs recherches.

 

Donc à l'origine (1993) quatre, puis bientôt cinq pôles partant des préoccupations des publics, ont été mis en place avec les organismes compétents :

 

1. " choisir son orientation ", qui est animé par le CIO Média-com, servic ed’orinetation du Ministère de l’éducation nationale

 

2. " trouver un emploi ", s’appuyant évidemment sur une alliance avec l'ANPE,

 

3. " trouver une formation " qui a en charge la question de la formation professionnelle et qui fonctionne grâce à un regroupement de plusieurs partenaires. Historiquement, pour cette entrée, nous avions cherché un organisme unique qui aurait vocation d'informer le public final sur tous les aspects de la formation professionnelle continue et faute de l’avoir trouvé , nous avons fabriqué un consortium informel associant l'AFPA , les délégations académiques à la formation continue, le CNED, le CNAM lui-même bien entendu, et d’autres organismes comme l’ANPE et le CLIP (Carrefour local pour l’insertion professionnelle) ,

 

4. quatrième aventure, le pôle " changer sa vie professionnelle, évoluer, valider ses acquis ", aventure commencée avec le CIBC de Créteil auquel se sont ajoutés l'ANPE, le CESI qui est un organisme paritaire de formation et de bilan de compétences et qui vient d'être renforcée par le DAVA de Paris.

 

5. enfin, le cinquième pôle, ouvert en 1996, qui s'appelle " créer son activité " ; En 93, cette dimension existait, mais on la considérait comme un des volets de " trouver un emploi ". Trois ans plus tard, on l'a émancipé, individualisé, il est devenu pôle à part entière, animé par l'ANPE, la Boutique de gestion de Paris et le CIME, organisme associatif spécialisé dans la création d'emplois.

 

Avec toutes ces fonctions, la CDM pourrait être qualifiée de « guichet unique », mais dans la mise en œuvre et dans la perception de nos publics elle se révèle bien différente : en fait, c'est bien un lieu unique de six cents mètres carrés visant à écouter et à répondre à toutes les préoccupations, mais pour ce faire, on a installé à l'intérieur non pas un guichet, mais cinq pôles séparés, pour nous tenir au plus proche de ces préoccupations. Et aujourd'hui, à la CDM, s'exercent bien - cinq métiers bien complémentaires : " Choisir son orientation ", " Trouver un emploi ", " Trouver une formation en formation continue ", " Changer sa vie professionnelle, évoluer, valider ses acquis " et " Créer son activité ". Quant à la désignation de « guichet », nous lui préférons celle de « pôle », plus adaptée à un système comme celui de la Cité des Métiers, offrant l’usage d’un ensemble de ressources interconnectées, sans hygiaphone, ni contrôle social, ni file d'attente instituée.

 

La CDM est un système vivant, en symbiose avec son environnement et les différents réseaux d’insertion, d’orientation et d’évolution professionnelle dont elle constitue une partie. Rien n’y est figé de manière pluriannuelle, sauf la charte qui fixe qu’elle est ouverte et pensée pour tous, multisectorielle, anonyme, multimodale et multimédia et bien sûr centrée sur les besoin de ses usagers : elle est en fait entièrement dépendante de son public et des douze partenaires qui la constituent. Elle est donc par construction très adaptable et de fait de multiples adaptations ou améliorations s'y développent. En revanche, le découpage en pôles est resté très stable : comme cela a été déjà signalé, nous avons vécu deux modifications seulement : l’individualisation de la fonction " créer son activité ", et l’élargissement en deux étapes du pôle consacré à l’évolution : " changer sa vie professionnelle, évoluer, valider ses acquis " , seconde modification, il faut le préciser, conduite en résistant à une injonction forte des pouvoirs publics de créer un pôle séparé " valider ses acquis " comme s’il s’agissait d’une demande en soi alors que nous considérons que c'est un des moyens d'un ensemble au service de l'évolution professionnelle. On peut d’ailleurs faire l’hypothèse que ce qui motivait ce souhait pressant n’était pas exempt d’enjeux institutionnels.

 

En fait, avec le recul, il est évident aujourd'hui de voir que c'est l'équilibre entre un très haut niveau d'intégration de services, de publics et de partenaires, sans concessions en ce qui concerne le respect des identités et des spécificités des compétences et des demandes qui constitue le caractère innovant du concept.

 

2. Et l'effet réel de la Cité des métiers ?

 

En ce qui concerne l'effet sur les publics, il est difficile à estimer. A Paris, pour trois millions d’utilisateurs en 13 ans, la CDM a indubitablement fait ses preuves comme lieu d’écoute, de reformulation et d’appropriation d’information pour l’orientation, l’insertion et l’évolution professionnelle, mais sa fonction de passerelle vers des savoirs techniques ou scientifique, indéniablement voulue et affirmée, n’est ni prouvé ni facile à prouver : sans doute améliore-t-elle l’orientation et l’insertion et développe-t-elle aussi par la même occasion l’envie d’apprenance, mais son effet de mise en route d’une curiosité pour la science et la technique est secondaire. Son premier effet visible reste un empowerment social, première marche de l’éducation permanente, mais sans doute pas directement technoscientifique à court terme. Certes, il y a bien des utilisateurs qui s’engage dans un parcours d’appropriation technique ou technoscientifique où une question concernant leur vie professionnelle les conduit de la CDM à la médiathèque générale (un utilisateur sur trois) puis dans une exposition « culturelle scientifique ou technique », plus ou moins longtemps après. Mais le rôle principal d’empowerment technique, voire scientifique des Cités des métiers (toutes et pas seulement de celle de Paris) se joue à plus long terme dans leur capacité à déclencher l’envie de formation, l’apprenance, soit formellement au travers de la mise en route de VAE, DIF et autres bilan de compétences, soit plus informellement par des évolutions qui empruntent les voies plus diffuses de l’éducation permanente informelle. Il y a là une révolution copernicienne à opérer sur la représentation de la légitimité des CDM dans le paysage institutionnel de « l’action culturelle scientifique et technique ». Cette légitimité ne vient pas d’une capacité à faire passerelle à court terme vers des expositions scientifiques (le soir où on est venu chercher une info sur la VAE), mais d’un rôle à plus long terme de mise en mouvement vers une évolution professionnelle, vers un accroissement de la technicité et des compétences professionnelles de chaque utilisateur (lorsque dans le cadre de son parcours de VAE ou de création d’entreprise, quelques mois plus tard, on apprendra à dépanner un chauffe eau solaire ou à utiliser la norme qualité ISO 14000).

 

3. Et la Cité de la santé qui a été lancée en 2001 sur le modèle de la CDM ?

 

La logique de La Cité de la Santé est à peu près la même que celle de la CDM. Assumer notre mission de Cité des sciences, établissement culturel qui a pour raison d'être de rendre accessible à tous les sciences, les techniques et les avancées industrielles, ça veut dire aussi aider les gens à mieux comprendre leurs questions de santé, leurs préoccupations et les aider à les reformuler, se faire traduire ce qu'ils ont entendu chez le médecin ou comprendre l'examen que va subir leur conjoint, parler, poser des questions pour un meilleur entretien de son corps… Bien sûr, cela suggère, le même modèle que la CDM : trouver des partenaires et essayer d’en faire une plate forme Santé ouverte à tous, deuxième étape dans la médiation de services concrets, avant pourquoi pas de se lancer dans la réponse à toute une série d’autres préoccupations, liés de près ou de loin au champ scientifique et technique, comme la consommation technologique ou le bricolage. D’où l’idée d’une Cité de la Santé, idée d’autant plus logique que la Cité des Sciences avait développé dès son ouverture en 1986 un secteur « médecine santé » offrant 20 000 documents consultés aussi bien par des professionnels que des profanes.

 

Cette idée de Cité de la Santé, nous nous sommes lancés dans son expérimentons avec Tù-Tam Ngûyen de la médiathèque de la CSI depuis fin 2001 en étroit partenariat avec 15 organisations (Conseil national de l’ordre des médecins, CRIPS, DGS, Etablissements publics de santé, INPES, Amicales de médecins retraités et de nombreuses associations de patients, comme AIDES, la Ligue contre le Cancer, Vie Libre, la FNAIR, la FNAP-Psy). Elle accueille des utilisateurs six jours sur sept. Initialement, nous avions prévu de proposer quatre pôles distincts de conseils : s'informer sur un problème de santé, Vivre avec une maladie ou un handicap, accompagner un proche, Entretenir sa santé, prévenir, S'informer sur ses droits. Nous avons tenté de mettre en oeuvre ce schéma, mais aujourd'hui, l'expérience nous a conduit à modifier le découpage et, en plus du libre service documentaire, nous offrons trois pôles de conseil, un accueil "documentaire", semblable à ce qui est en général proposé dans une médiathèque spécialisée et un pôle tenu en complémentarité par des médecins retraités et des intervenants associatifs eou de la prévention : "s'informer sur une question de santé". On est ainsi proche de la logique "Cité des métiers", mais plus "adaptable" et donc moins pointu, ce qu'impose la pénurie de conseillers et est en accord avec le rythme d'une demi-douzaine d'entretiens de conseil par jour.

 

De fait, piloter cette cité de la santé fait prendre du recul par rapport à la réalité des métiers à la cité des métiers.

 

Ainsi, A la Cité de la Santé, les professionnels disent « ça va pas, on ne peut pas être appeler conseiller en santé, on voudrait des badges indiquant « orientateur », ou à défaut « conseiller en orientation » parce que la notion de conseil n'est pas assez claire, le conseil en santé pose un problème de déontologie insurmontable, nous ne conseillons pas en matière de santé, nous « orientons ». Le plus frappant, c’est que -dans les Cités des Métiers - si on mettait « orientateur » ou conseiller en « orientation » de manière indifférenciée sur tous les pôles il y aurait une émeute. Le mot qui marche pour désigner les professionnels de manière générique à la cité des métiers c'est « conseiller », alors que ce mot presque tabou à la cité de la santé.

 

Autre illustration de l’intérêt du parallélisme Métiers / Santé : sur « entretenir sa santé, prévenir » on retrouve une volonté et une dualité très similaire à celle de « choisir son orientation/découvrir les métiers » au lieu de nous aider à répondre aux questions de nos utilisateurs, de multiples institutions nous viennent voir à la cité des métiers en nous demandant de les aider à faire la promotion des métiers de tel ou tel secteur (travaux publics, paramédical, filières scientifiques…) ; en parallèle, le monde de la santé est dominé par une logique qui est très comparable à cette logique info métiers, on oublie l'éducation des choix et on fait de la campagne de prévention descendante, ce matin c'est la mammographie, demain c'est la journée mondiale de l'herpès et la journée mondiale du SIDA lundi. On ne trouve quasiment pas de partenaires à but non lucratif pour répondre aux demandes du public au rythme où elles vont et viennent. Ils veulent tous agir par campagnes d’information thématique ; logique prophylactique oblige, semble-t-il. Rien de très nouveau, la prévention semble bien être un système, -si je dis d'infantilisation, je vais me faire des ennemis-, qui oublie facilement la question de l'éducation des choix au profit du bourrage de crânes. Pourtant évidemment la question de l'éducation thérapeutique est une question essentielle en terme d'information santé, mais surtout quand on est déjà malade (et devenu « patient ») mais la question de la professionnalisation des métiers de l'éducation santé n'est pas clairement posée aujourd'hui, même si elle l'a été un peu par effet secondaire de l’arrivée d’emplois jeunes, éducateurs ou médiateurs de santé.

 

Troisième illustration de cette fonction d’analyseur, celle-là liée aux différences de contexte sémantique de la « prescription ». A la Cité de la Santé , en garde-fou, est écrit partout qu'on n’y fait ni consultation, ni prescription . Voilà qui est destiné à être clair : pas question d’être un lieu de prise de décision. Par contraste, je me demande si on ne ferait pas quand même un peu de prescription à La Cité des Métiers? et si on ne serait pas un peu dans le cas où on décide à la place des gens. Réciproquement, la santé radicalise le problème de ce que l’on a le droit de dire : Va-t-on dire brutalement « le pronostic est vital ou mortel dans 6 mois dans 80% des cas ». En fait, on accorde la précision de ce qu'on dit à ce qu'on sent dans la question comme demande de précision. Déontologie à méditer en relation avec les perspectives adéquationistes en matière d’orientation professionnelle.

 

J'ai re-découvert un mot essentiel en pilotant -avec les associations de santé engagées sur ces questions de droits des citoyens-, la mise en place de La Cité de la Santé : le mot empowerment, un anglicisme. Il n’a pas vraiment d’équivalent en français et désigne le contraire de l'infantilisation, l’en-pouvoir-ment ou l'émancipation au sens de contribuer au transfert de l'appropriation du pouvoir par l'individu lui même. La Cité de la Santé remet donc cette question de l’éducation des choix dans une perspective plus large que celle de l'orientation et de la vie professionnelle : entre prescription à un patient ou émancipation d’un concitoyen. En bref, la Cité de la Santé se situe sur un champ social différent de la CDM, avec des marges de manoeuvres différentes. Elle radicalise les problèmes et les interrogations générées par la CDM. Quatre différences :

 

Sur son économie : faute de professionnalisation du "conseil" santé" en France, on trouve plus de volontariat individuel à la CDS et moins d’engagement institutionnel concret.

Sur sa sémantique : à la CDS on trouve "conseil" très connoté et chargé, donc ambigu et on voudrait qualifier toute l'activité de "orientation". ; dans les CDM françaises, c'est exactement symétrique.

Sur sa fonction d’autonomisation : à la CDS on va beaucoup plus loin sur la question de l'autonomie des individus. Un des maître mot c'est l'empowerment. La question des individus décideurs, non infantilisés est posée de manière plus radicale. Sans doute cela provient-il du fait qu'il y a à la CDS d’authentiques représentants des usagers (avec des associations dont c'est la fonction première, comme AIDES, la FNAPSY par exemple).

Sur l’implication des professionnels: une supervision (au sens psychologique du terme), ou au moins des débriefings s’est vite révélée plus incontournable à la CDS ainsi que la nécessité de produire des guides de protocoles de réponse pour les conseillers.

 

 

En conclusion provisoire sur la Cité de la santé, force est de constaté qu'elle est souvent regardée par le public comme une utopie étrange, indubitablement efficace au niveau du « counseling » individuel et de la démonstration préventive pour les groupes scolaires ou adultes cabossés ; en ce sens, il faut saluer sa contribution à l’émergence du concept de Maison des usagers des hôpitaux (comme à Saint Anne à Paris) et autres espaces culture santé dans des caisses d’assurance maladie (comme dans les Hauts de Seine). Collectivement, elle appartient bien à ce courant d’empowerment qui vise à transformer le rapport de force dominant entre soignant et soigné, mais force est de constater - au bout de quatre ans d’ouverture quotidienne - que l’appropriation de ces nouveaux lieux est bien lente. Conscient qu’il n’est pas possible d’avoir raison trop tôt, nous n’avons pas encore osé en tester d’autres déclinaisons de telles "Cités de services" et nos rêves de cité du consommateur de technologie, cité de l’environnement, cité du bricolage… ne sont pour l’instant que des hypothèses sans échéance, dont l’économie n’est pas encore réellement formulable, sauf si nous osions les faire en ligne sur le web ou les inscrire radicalement dans une économie mixte conseils et vente de produits.

 

4. Et les autres Cités des métiers ?

 

En 1999, soit 6 ans après, ouvraient en France trois équipements inspirés de cette expérience et labellisés par la CSI (il s'agit des Cités des métiers de Belfort, de Côtes d’Armor et de Nîmes). L'année suivante, deux "Citta dei Mestieri et delle professionni" s'ouvraient sur le même modèle en Italie Milan et Gènes. Depuis, le réseau des CDM se développe à partir d’un cahier des charges (voir http://www.reseaucitesdesmetiers.org  ) dans des territoires diversifiés (métropoles comme Paris ou Barcelone, ou territoires plus ruraux comme l'Orne ou les Côtes d'Armor) et dans des contextes contrastés : pays très dotés en structures d'insertion et d'orientation comme la France ou vide de tels outils, comme à Minas Geraïs au Brésil ou la CDM de Belo Horizonte fonctionne depuis 2001). Il y a actuellement des CDM ouvertes dans 4 pays (France, Italie, Espagne, Brésil) et des projets labellisés dans deux autres (République de Maurice et Portugal). Une préfiguration de Cité des métiers a également fonctionnée en Autriche au Tyrol dans le cadre de l'initiative Equal et des projets sont actuellement envisagés au Vietnam et au Chili.

 

Le label CDM, commun à toutes ces plates-formes, leur impose d'être un lieu ouvert en accès libre et gratuit à tous les publics, (jeunes scolarisés ou non, adultes actifs ou non), multi-partenaires et permettant toutes les modalités de consultation et d'information, à savoir des entretiens sans rendez-vous avec des conseillers, une documentation imprimée et en ligne ainsi qu’une offre d’ateliers, de forums et de journées thématiques. Elles doivent traiter tous les aspects de la vie professionnelle, et tous les secteurs et être organisées sous forme de pôles de conseils centrés sur les questions des usagers.

 

Dans les autres Cités des Métiers ouvertes, on retrouve bien les mêmes types de pôles, mais pas exactement les mêmes intitulés, ce qui peut être vu comme révélateur de différences de découpages ou de réalités sociales, voire de cadres ou de choix institutionnels, ainsi aller vers l'emploi, ou chercher un emploi peuvent se substituer à trouver un emploi , découvrir les métiers à choisir son orientation. Bien sûr les disparités nationales ou territoriales ont aussi créé des différences de positionnement : ainsi, les cités des métiers françaises ne produisent pas leur propres contenus, contrairement à la plupart des autres (Italie, Barcelone, Brésil) : en France, les documentalistes ont plutôt à faire face à une pléthore de sources alors qu’ailleurs il s’agit plutôt d’en créer. Mais, globalement, on peut dire aujourd’hui que notre système de labellisation a bien fonctionné et Les Cités des Métiers on bien respecté un concept qui, au-delà du guichet unique, consiste à mutualiser, hybrider dans un même lieu ouvert des fonctions complémentaires qui s'exercent avec des métiers différents.

 

Et ce qui est sûr, c’est que ces différences professionnelles survivent vivacement pour le plus grand bien des utilisateurs. D’ailleurs quand on regarde le quotidien d’une Cité des Métiers, quand on interroge les conseillers du pôle choisir son orientation qui sont des COP, ils disent que l'important c'est que les gens repartent avec des questions, quand on interroge nos collègues du pôle trouver un emploi ils disent évidemment l'important c'est que les gens repartent avec une réponse. J’ai d’ailleurs l'impression que si je demandais à nos amis de changer sa vie professionnelle, -surtout depuis la VAE- ils nous répondraient que l'important c'est qu'ils partent à la fois avec des questions et des réponses…

 

Cela dit, le fait que les cinq pôles n'aient pas fusionné n'est pas seulement une leçon sur la spécificité des professions de conseil, mais résulte aussi de la divergence des angles de regard et de mise en mouvement dont la société à besoin sur la vie professionnelle : adopter naïvement une volonté de regarder de manière unique la question de l’information conseil sur un tel sujet ne suffirait pas pour permettre toutes les résolutions socialement nécessaires. A la cité des métiers, on a essayé de la classer la documentation disponible sur les métiers simplement par secteur, en suivant un découpage unique, univoque. Or, les éditeurs, le CIDJ, l'ONISEP, le ROME , les conventions collectives, les éditions privées, l'Etudiant ... respectent chacun des logiques propres ; force est de constater qu’elles divergent souvent : le découpage des bases d’offres d’emploi, des atlas de la formation initiale, des diplômes, des accords sociaux sont loin de se correspondre et un index croisé entre Onisep, Rome, Actuel Cidj et Conventions collectives n’est pas pour demain en raison de la non équivalence des thésaurus de ces quatre principales "encyclopédies des métiers" françaises. Présenter l'organisation des professions selon le système éducatif, n’est pas équivalent à les présenter selon le résultat des négociations sociales pour les conventions collectives et il y a une troisième logique qui est de présenter selon les volontés, tout à fait respectables d'ailleurs, de lobbies corporatistes pour faire exister telle ou telle réalité professionnelle.

 

La situation de l'individu fait qu’il a -à un moment donné- besoin de tel ou tel angle de réponse ; les pôles d’une Cité des Métiers respectent la segmentation des métiers de conseil en place publique, métiers qui sont fragmentés, mais aussi la variété sociale non réductible à un seul angle de regard sur la vie professionnelle.

 

5. Le concept est-il toujours vraiment respecté de part et d’autre des frontières ?

 

Construire une Cité des métiers consiste à fédérer les acteurs d'un territoire autour de valeurs qui ont une portée universelle et se traduisent concrètement par la volonté de donner à chacun l’envie et les moyens de choisir sa vie professionnelle plutôt que de la subir en proposant accueil, conseils et outils pertinents. Ce processus peut être mis en œuvre dans la plupart des pays qui se préoccupent de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Bien sûr, le portage et la conception s'appuieront sur des partenaires locaux dont le découpage, la formalisation et les moyens dépendent très largement du contexte. Il en va de même pour la formulation des préoccupations des publics dont le découpage conduira à un nombre variable de pôles de conseil avec des dénominations adaptées en fonction des particularités socio-économiques des territoires.

 

Derrière ces variations d'intitulés et de la répartition des compétences entre partenaires, ce sont les mêmes questionnements des institutions et des personnes que l'on retrouve dans les CDM, à l’intérieur comme au-delà des frontières. Par contre, des différences majeures apparaissent quant à la dotation des pays en termes d’outils d'information d'une part et d’instruments d'évolution d'autre part : la préexistence ou non d'outils d'insertion et d'orientation (descripteurs de métiers, bases d'offres d'emploi et service public de l'emploi) et l'existence ou non de dispositifs favorisant la formation tout au long de la vie (équivalent de nos VAE, CIF, DIF ou autres bilans de compétences) sont cruciales pour le bon fonctionnement d'une CDM. De fait, il sera toujours possible pour une Cité des métiers (à condition d'en trouver les financements et les partenariats) de palier le premier manque et de produire, comme à Barcelone par exemple les outils d'information et de description manquants; en revanche il sera plus difficile de faire levier sur le manque de réel instrument de gestion prévisionnelle des emplois et compétences d'un territoire, sauf si la CDM est créée sciemment par les autorités dans ce but, comme cela devrait être le cas à Maurice, et peut-être à Santiago du Chili : voilà qui reviendrait enfin à concevoir les instruments de qualification et de gestion de carrière en même temps qu'un réel système de conseil à tous.

 

Si la faible densité du réseau ne lui permet pas de produire directement l'information transnationale utile à chacune des CDM, son rôle est de diffuser en toute impartialité l’information produite par des réseaux comme Eures. De fait, pour nous Français, la dimension transnationale a principalement permis deux apports : d'une part, elle a contribué à la formalisation du label et du concept, en obligeant à le regarder et surtout le décrire dans d'autres langues et cultures ; d'autre part, elle a permis d'élargir la réflexion grâce à des travaux communs à une ou plusieurs CDM dans des projets européens généralisant les valeurs défendues dans le réseau , à savoir soutenir l'équité d'accès au travail (pour certains publics -comme les projets Gender News et Extracompetence- ou par un meilleur repérage des métiers et compétences comme le projet du ROME en Sardaigne) et à la "formation tout au long de la vie" ou comme avec le projet SCATE, l"empowerment" (au sens d’émancipation, cf (4)) des personnes vis-à-vis de leur avenir professionnel (orientation choisie en connaissance de cause, éducation des choix). Cette logique prévaut aussi au sein du réseau national à l’instar du projet français Equal favorisant le maintien et le retour à l'emploi des plus de 45 ans.

 

Plusieurs CDM (Nord-Franche Comté à Belfort et Montbeliard, Haute Normandie) ont intégré la dimension transfrontalière dans leurs activités régulières (permanence Eures et ateliers spécifiques). La République de Maurice nourrit l’ambition d’une CDM qui faisant école dans l’Océan indien développerait un réseau de partenaires. Une intégration forte a été au centre de projets qui n'ont pas pu aboutir, comme le Calaisis ou Bruxelles, mais de nouveaux sont en pleine actualité, comme celui du Pays Basque et sans doute prochainement celui d'Annemasse. Une des spécificités des CDM est de construire offre et projet à partir des préoccupations réelles des publics et le moins possible de tel ou tel découpage institutionnel ou politique. Par construction, elles se définissent donc en fonction des bassins d’emploi et de vie effectifs des habitants. Gageons que cela facilitera aussi la mise en place de services transnationaux pertinents en termes d’outils et d’échelle.

 

6. Et pourquoi n'y a -t-il pas plus de Cités des métiers ?

 

En fait, aujourd'hui le réseau des CDM se développe d'une manière paradoxale : certes, ce concept et le cahier des charges qui le définit (voir http://www.reseaucitesdesmetiers.org s'adaptent à des territoires très diversifiés (métropoles comme Paris ou Barcelone,ou territoires plus ruraux comme l'Orne ou les Côtes d'Armor) et à des contextes contrastés (pays très dotés en structures d'insertion et d'orientation comme la France ou vide de tels outils, comme le centre du Brésil), mais le rythme de développement n'est que d'une à deux CDM en France et à peine plus à l'étranger par an. Vu l'adaptabilité du concept, on peut s’en étonner : soit de telles plates-formes se sont révélées utiles et leur mise en place devrait se généraliser, soit le jeu n'en vaut pas la chandelle et alors, le réseau devrait se tarir. De fait, si l'on observe un tel « entre deux » et une progression certes continue, mais toujours mesurée, c'est sans doute que les nombreuses difficultés qui freinent la mise en place des Cités des métiers sont à peine compensées par les vertus qu'elles procurent.

 

Quatre obstacles à la mise en œuvre des Cités des métiers

 

Butter sur la fragmentation des responsabilités territoriales

 

Les cités des métiers naissant d’initiatives locales, l'engagement d'au moins une collectivité territoriale est indispensable au rassemblement et à l'adhésion des partenaires. Outre la légitimité qu’il apporte, il garantit aussi un soutien financier le plus souvent vital pour le projet. Mais de fait, les CDM mélangent emploi, orientation, action sociale et concernent donc toutes les échelles territoriales qui se partagent ces responsabilités. Il en résulte des difficultés d'ordre politique à faire y coïncider les intérêts de l'Etat, de la région, du département et du niveau local. De plus, le souci d’équité qui anime les assemblées régionales peut ainsi être un frein car les CDM ne peuvent prétendre couvrir de la même façon tout le territoire d’une région. Inversement dans un territoire trop petit, le projet aura des difficultés à réunir les compétences nombreuses et variées nécessaires au bon fonctionnement.

 

Se heurter à nécessité de résultats à court terme :

 

Vouloir faire travailler ensemble des acteurs qui n'ont pas l'habitude de se parler, même s’ils œuvrent sur le même territoire, n'est pas chose simple. C’est d’autant plus vrai lorsque leurs univers sont aussi différents que ceux de l'éducation initiale, de l'emploi et de l’évolution professionnelle. Quand de surcroît ces acteurs n'ont pas le même rapport aux échéances, les complémentarités n'en sont que plus difficiles à marier. Certains sont poussés par leurs électeurs ou leurs tutelles à fournir des solutions immédiates, tandis que d’autres travaillent à l’échéance d’une génération. Or, créer une CDM c’est accepter d’être tout à la fois dans le temps long de la construction sociale et dans l'urgence du chômage.

 

De manière symétrique, on retrouve la même difficulté du côté de l'usager d’une CDM. Venu souvent pour trouver une réponse au problème du moment, il découvre que pour le résoudre, il lui faut sortir de l’horizon à court-terme pour se placer dans une perspective de développement de ses compétences qui demande de réfléchir à son choix de vie et à sa gestion de carrière.

 

Se confronter à tous les critères de la charte CDM

 

Les critères qui définissent les CDM (voir encadré) et sous-tendent la plus-value qu’elles apportent à leurs utilisateurs, sont loin d’être simples à assumer au quotidien. Ainsi, le décloisonnement des publics amène les professionnels à remettre en cause leurs pratiques traditionnelles et leurs modes de fonctionnement habituels ce qui peut leur faire craindre une perte ou un dévoiement de leur professionnalisme. Depuis le sommet européen qui s’est tenu en 2000 à Lisbonne, la prise de conscience par les politiques et les professionnels de la nécessité d’une vision plus globale de l’orientation et de la formation tout au long de la vie a contribué, tout au moins en théorie, à lever ce frein.

 

Parmi les critères, l’anonymat réciproque est celui qui apparaît comme le plus contraignant. Cette question a toujours posé problème ; aujourd’hui, c’est un des points de vigilance mis en relief avec l’actualité des Maisons de l’emploi impulsée par l’Etat. Dans un contexte où prédominent la culture de l'évaluation et la crainte de la dilution des responsabilités, les institutions partenaires des CDM ne voient pas toujours l'intérêt d'opérer dans un cadre où la visibilité de leur action par les bénéficiaires comme par les tutelles n'est pas évidente. Un autre aspect de l’anonymat est aussi mis en cause : l'évaluation de la « rentabilité » du système est difficilement mesurable si l’on s’interdit de « suivre » l'usager dans l'utilisation des ressources mises à sa portée. Cet obstacle n’est pas insurmontable puisque quatre des cités françaises ont d’ores et déjà trouvé le moyen de développer des synergies en s’associant à des maisons de l’emploi.

 

Reconstruire en permanence un partenariat mouvant qui bouleverse les identités

 

Les CDM reposent sur la complémentarité et la coopération d'acteurs aux domaines de compétences divers qui décident de mutualiser leurs ressources. Comme la volonté politique ne suffit pas à faire vivre le partenariat, encore faut-il le coordonner et l’animer. Or, les CDM sont en permanence en recherche d'équilibre entre les attentes des différents partenaires. La fragilité de la structure partenariale, toujours soumise aux aléas et aux évolutions de l'environnement, en rend le pilotage délicat. La complexité du montage partenarial et la flexibilité des assemblages induisent une difficulté à mettre en place des instances de décision adéquates qui permettent le maintien d’un « équilibre dynamique » garant de la pérennité du système. Cette difficulté est renforcée lorsque les CDM sont appelées à participer à d’autres structures, fédératrices elles aussi, comme c’est le cas aujourd’hui avec les Maisons de l’emploi en France.

 

… compensés par des atouts inédits pour l’usager

 

Apporter outils et médiations complémentaires dans un processus d'apprentissage de l'autonomie

 

La variété et l'étendue de la documentation sont les conditions indispensables pour que le public puisse se faire sa propre opinion, découvrir des informations qu'il ne connaissait pas et ouvrir, par là-même, de nouvelles pistes d'orientation, d'insertion et de formation. Mais sans la médiation humaine des conseillers, tout ceci pourrait se réduire à la juxtaposition d'une multiplicité d'outils difficilement accessibles, de surcroît, aux publics les moins autonomes. C'est l'interaction entre conseil et ressources qui va favoriser un processus d'apprentissage fondé sur une démarche alternant recherche autonome dans l'espace des ressources et accompagnement dans l'espace de conseil.

 

 

 

Donner l'opportunité de gérer ses questions et son temps selon ses propres rythmes

 

La Cité des métiers est centrée sur la demande, la question, le problème de l'usager. Celui doit pouvoir ouvrir sa problématique, lui redonner un sens et s'approprier une stratégie d'action grâce à l'information et au conseil les plus larges de manière à éviter l'orientation « par défaut » et la démotivation. L'espace fonctionne sans rendez-vous imposé : ce qui compte c'est le temps de l'usager, l'urgence de sa question ou le respect de l'étape qu'il est venu franchir. Devenir plus acteur de sa vie professionnelle suppose, pour l'usager, un parcours, des temps de réflexion, un cheminement personnel nécessitant de multiples supports et contenus adaptés aux différentes étapes de la vie professionnelle et notamment pour les jeunes la possibilité de faire un bilan de leurs acquis, de leurs intérêts et de leurs aptitudes.

 

Permettre l'identification des prestations comme des solutions aux ses propres préoccupations

 

Dans les Cités des métiers, la mutualisation des ressources est une pratique quotidienne des conseillers pour répondre aux questions concrètes des publics au sein des pôles de conseil. Des prestations différenciées selon les publics sont offertes dans un même lieu, mais à la différence des "guichets uniques" traditionnels, ces prestations ne sont pas organisées par institutions ou par mesures, mais en fonction des préoccupations du public. Par exemple, on y trouve un pôle « changer sa vie professionnelle » et non « VAE » ou « DIF », encore moins « CIBC », « AFPA », »DAVA ». Il résulte aussi de ce mode de fonctionnement une mutualisation du travail réalisé en « back office » pour répondre mieux ensemble aux demandes des personnes et aux évolutions de leurs attentes.

 

Dans un espace Cité des métiers, on doit pouvoir venir et revenir à différentes étapes de maturation de ses choix professionnels pour s'informer sur les dispositifs existants, choisir une prestation en connaissance de cause ou rebondir vers d'autres prestations. Les services se situent donc en complémentarité des SCUIO et autres institutions spécialisées dans le champ de la vie professionnelle et peuvent proposer un aiguillage ou un ré aiguillage vers des prestations délivrées par celles-ci. En faisant se croiser les missions des différents organismes, elle favorise une meilleure prise en compte des liens. Enfin, la Cité des métiers est ouverte à toutes les démarches, que l'entrée soit une question clairement formulée, ou un problème exprimé par ceux qui ne savent plus quelle question poser, tant ils sont en décalage par rapport aux règles du jeu, et donc par rapport aux dispositifs existants.

 

… et le lien entre orientation des jeunes et évolution professionnelle des adultes

 

Mais, au-delà de ces quatre vertus, les CDM sont les seuls lieux d'orientation tout au long de la vie conçus pour être communs aux jeunes scolarisés ou non et aux adultes occupés ou non . En permettant le développement d’un dialogue inter-générationnel sur les choix d'orientation, cette intégration présente des avantages pour les uns comme pour les autres.

 

En ce qui concerne les jeunes, elle favorise une prise de conscience des difficultés d'accès ou de maintien dans l'emploi à tout âge et encourage ainsi à se préoccuper des possibilités futures d'insertion lors un choix d'orientation. Elle leur permet d'identifier des lieux ressources et des structures susceptibles de les aider à s'intégrer sur le marché du travail. De plus, elle les familiarise aux techniques de recherche d'emploi et leur donne accès à une palette d’outils pour améliorer leur connaissance du marché du travail.

 

Pour tous les publics, elle permet la dédramatisation des situations de réorientation souvent vécues comme un échec, notamment par les étudiants et les jeunes, en offrant une meilleure connaissance des différentes voies de formation (apprentissage, formation continue) et de validation ; elle conduit à mettre en perspective réflexions à court terme et à long terme, gestion de ses compétences et anticipation professionnelle, améliorant la lisibilité du lien entre formation, emploi, insertion professionnelle. Enfin, elle facilite les transitions dans la vie des individus en favorisant des stratégies davantage en prise sur le monde économique et tenant compte des choix de vie.

 

Ainsi, plus généralement, une des idées force sous-jacente aux "Cités des métiers" est d'éviter le saucissonnage des différentes situations de pilotage de sa vie professionnelle. Du point de vue des promoteurs d'un tel concept, 13 ans après, on peut regretter de ne voir ce concept que sur quelques territoires. En tant que citoyens, on peut juste regretter le caractère inéquitable du résultat. Paradoxalement, bien qu’elle ajoute un élément de complexité à un pilotage qui l’était déjà, l’émergence des MDE semble aujourd’hui renforcer l’attrait pour le concept de CDM. N’est-ce pas finalement parce que le concept donne de la cohérence à des politiques qui ont du mal à se coordonner ?

 

Dans les CDM depuis de nombreuses années, on a développé une ingénierie spécifique de l’orientation, respectueuse de l’autonomie de la personne et s’appuyant sur sa participation active au processus d’orientation. La recrudescence d’intérêt pour ce concept aujourd’hui ne tiendrait-elle pas au fait qu’il se positionne dans un juste milieu, apte à faire converger intérêt individuel et intérêt collectif, à la fois résistant à la pression du marché du travail et à la recherche exclusive d’adéquation, et à la fois permettant à l’individu de replacer ses aspirations dans une démarche stratégique de gestion de sa vie personnelle et professionnelle ?

 

7. Le concept est-il encore d'actualité ?

 

Toujours d'actualité, mais à actualiser ! En effet, ce qui est très frappant, c’est que le concept Cité des métiers est toujours en pleine actualité dans des territoires très variés, comme en témoignent les différentes labellisations dont nous venons de parler alors qu’il a aujourd’hui plus de treize ans et qu’il a été inventé bien avant l’émergence d’internet, à une époque où les problèmes et les modalités de recherche d’information et de documentation étaient toutes autres.

 

La généralisation partout dans le monde des accès à l’information virtuelle pourrait donc nous inquiéter. De fait, nous sommes nombreux à penser que si nos Cités des métiers restent aussi pertinentes c’est parce qu’elle sont non seulement des lieux d’information, mais aussi des lieux de conseils et de rencontre complémentaire de ce que l’on peut trouver en ligne et dans d’autres lieux plus spécialisés. Nous notons également que, en France en particulier, l’amélioration de l’accès aux offres d’emploi et le déploiement de dispositifs de suivi des demandeurs d’emploi semble faire glisser la nature des demandes vers le plus long terme.

 

Dans ce contexte là, l’observation des évolutions des publics en 2005 (en particulier à Paris, mais pas seulement) nous conduit à penser qu’il faut, toujours dans le cadre de la même charte, adapter les offres de nos Cités des métiers selon deux axes, en fonction des évolutions des modes d’information d’une part et en fonction des évolutions des besoins de ressources et de conseils d’autre part.

 

Les CDM face aux évolutions des modes d’information des publics

 

Adapter la présence de chaque CDM sur le Web : il s’agit d’être visible par ceux qui cherchent leurs informations sur le Web et montrer la complémentarité d’un lieu physique en développant des outils méthodologiques utiles à ceux qui surfent, en mettant en en ligne les contenus des contenus des pôles de conseils sous forme de portails et contenus des événements et en créant des listes de diffusion pour des clubs virtuels

 

Améliorer la Proximité des CDM : il s’agit non seulement d’ouvrir des centres associés et des sites dans les « pays », non seulement d’alimenter les réseaux, mais aussi de s’adapter à la demande qui est de plus d’échange et de confrontation. Pour cela développer largement les clubs, à partir des exemples des cercles de recherche d’emploi et du club de créateurs/repreneurs. Il s’agirait d’accueillir à des rythmes mensuels des cercles de personnes voulant évoluer, voulant valider, bénéficier au mieux de formations... De même des clubs « orientation jeunes diplômés, autodidactes, construction projets pour étudiant) …

 

Améliorer l’accueil de groupes et l’accessibilité : il s’agit de développer notre capacité à répondre aux multiples demandes émanant des groupes scolaires, d’insertion ou d’évolution professionnelle (élaborer des scénarios en lien avec le monde scolaire, développer les modules avec les organismes d’insertion, et les prestataires des services de l’emploi), mais aussi de développer l’accès pour les handicapés, les usagers du système de santé, améliorer l’accessibilité physique, l’ergonomie générale et le confort, mieux gérer l’ambiance, l’attente, mettre à niveau les services techniques minimums (CV, clefs USB, email, impression)

 

Les CDM face aux évolutions des besoins de ressources et de conseils des publics

 

Développer les moyens de l’évolution tout au long de la vie et d’un meilleur « épanouissement professionnel » :  il s’agit d’élargir la fonction « changer sa vie professionnelle » en ajoutant plus explicitement une fonction « s’informer sur ses droits », voire une fonction s’organiser pour travailler de façon plus épanouissante… Ce qui signifie de nouer de nouveaux partenariats sur les thématiques : Info et conseils « droits », question du harcèlement, discrimination, conciliation des temps santé et travail, préparation retraite…

 

Informer plus précisément sur la situation de l’emploi et des professions : il s’agit de devenir plus encore les lieux publics de référence pour la communication des données sur le marché du travail, sur la situation de l’emploi de la formation professionnelle, en lien avec les medias en particulier.

 

Expérimenter des innovations performantes des partenaires : il s’agit aussi de s’organiser pour détecter, adapter et mettre en œuvre les innovations lancées ça et là pour favoriser l’orientation, l’insertion professionnelle l’intégration et la sécurisation des parcours professionnels. A Paris par exemple, nous allons tester dans l’année qui vient la domiciliation au « club CDM » de jeunes issus des quartiers ainsi que une plate-forme de mis en œuvre de nouvelles formes de recrutements et d’orientation (par simulation, par « vocation »).

 

Voilà donc autant de défis pour nos cités des métiers et notre réseau dans les années qui viennent. Nous sommes persuadés qu’ils peuvent être relevés et gagnés dans le cadre du concept et du label CDM dont aucune des valeurs ne semble devoir être remise en cause au vu de l’année 2005 (à ce titre, seules les questions d’un pré-label pour aider à l’émergence des projets et celle d’une seconde forme de reconnaissance pour des plates-formes éclatées, à une nouvelle échelle de plus grande proximité se posent pour 2006), . A nous d’organiser au mieux nos échanges et notre réseau pour nous permettre de nous épauler les uns les autres pour y parvenir, en nous appuyant en particulier sur des rencontres physiques mais aussi notre site web.

 

 

1. Malgré cela nous avons fait le choix de développer un réseau maillé de pôles plutôt qu’une structure pyramidale par pays, pensant que les échanges points à points devaient être autant favorisés que les échanges pays à pays.

 

2 . O. Las Vergnas, C. Estienney, Favoriser les parcours de formation par l’information et l’orientation : marier les labels pour agir à plus long terme, à paraître dans Actualité de la formation permanente, Centre Inffo, Saint Denis, 2006,

 

3. O. Las Vergnas, B. Thomas : Cités des métiers : le pour et le contre d’une approche intégrée de l'orientation tout au long de la vie, in Actes des journées SCUIO, [Francis Danvers, Dir], Lille, 2006 et Cités des métiers : regards sur l'appropriation du concept au delà de nos frontières,  Revue Personnel, ANDCP, juillet 2006

 

4. O. Las Vergnas, intervention pour les 75 ans de l'INETOP, parue dans le N° spécial de la revue "l'orientation scolaire et professionnelle", Paris, novembre 2005,

 

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